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Depuis plusieurs années un phénomène s’amplifie celui de lutter contre la maltraitance et/ou de la violence faite aux enfants.
La maltraitance envers les enfants n’est pas un phénomène nouveau. Mais au fur et à mesure, la société a pris conscience de l’importance de certains besoins de l’enfant jusqu’alors pas ou peu identifiés. Petit à petit, l’état d’esprit a changé, le législateur limite les droits parentaux en cas de violences sur l’enfant : en France, promulgation de la loi du 14 Juillet 1989 sur la prévention de la maltraitance.
La Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par les Nations Unies en 1989 est un peu l’aboutissement de ce long processus.
La maltraitance peut revêtir  de multiples formes : interactions violentes et/ou négligentes entre des personnes, des institutions, des structures sociales, et des mineurs, générant des atteintes à la santé physique et psychique, des arrêts de développement, des invalidités, voire la mort.

Chloé 8 mois, est placée dans une  pouponnière un soir de décembre, en urgence. Ses parents « mariés » selon un rite communautaire sont d’origine Moldaves. Monsieur était plombier et Madame professeur d’histoire. Chloé est leur seule fille. Elle est née sur le territoire Ils ont fait une demande d’Asile politique mais celle-ci leur a  été refusée en premier instance. Ils attendent les résultats de l’appel  de cette décision.
La famille est connue par les services sociaux. A plusieurs reprises ils ont été signalés pour leur violence notamment Madame qui a envers l’enfant des gestes brusques, la secoue pour la calmer. Après une nouvelle crise de violence de Madame sur sa fille, un signalement émanant des «  restos du cœur », c’est la brigade des mineurs qui exécute l’OPP et amène l’enfant à l’établissement.

1er jour
Nous accueillons une petite fille apeurée qui sursaute au moindre bruit. Elle est vigilante et ne soutient pas notre regard. Elle gémit et nous avons du mal à situer son mal-être.
Elle est plâtrée des deux jambes car elle a contracté une ostéomyélite. L’immobilisation de l’articulation du genou et une double antibiothérapie ont été prescrites lors de son hospitalisation. C’est une petite fille frêle, pâle au regard vigilant et inquiet. Elle semble en grande souffrance.
Les jours qui ont suivi son arrivée à la pouponnière, Chloé pleurait beaucoup.  Ses pleurs ressemblaient à une plainte. Elle pleurait souvent dans les bras et préférait ne pas jouer dans l’espace jeu.
Elle était plus sécurisée dans son lit où elle jouait tranquillement avec des livres et des peluches. Elle était concentrée sur ses jeux, mais regardait avec vigilance les auxiliaires et les autres enfants.
Chloé a refusé de dormir les deux premières nuits et pleurait beaucoup. Les auxiliaires et l’infirmière sont restées prés d’elle. Les premiers repas sont aussi très compliqués, car Chloé refuse de manger.
15 jours après son arrivée ses plâtres ont été enlevés. Il reste encore des problèmes à surveiller notamment au niveau du Trochanter mais le médecin la revoit régulièrement pour contrôler le bienfait du traitement.
Dés le début du placement nous avons eu des appels successifs de différentes associations, des membres de leur communauté, du Consul du pays d’origine des parents, de l’ambassade de ce même pays et d’un lieutenant de police de ce pays, chacun cherchant à obtenir des renseignements sur l’enfant, sans jamais prendre de nouvelle de l’enfant. Les parents n’appellent pas, mais par l’intermédiaire de tous ces protagonistes nous leur proposons une visite , le jugement l’ordonnant. Ils ne se présentent pas.
Puis un matin, Monsieur T appelle enfin. Il ne demande pas de nouvelle de sa fille, il veut venir la voir. Nous lui proposons une visite dans, l’après-midi, après consultation de l’inspectrice du service sociale

1ere visite des parents. Monsieur T arrive très énervé. Nous lui proposons un entretien pour lui expliquer les raisons du  placement et notre place de service d’accueil. Monsieur T parle de plus en plus fort. Il n’entend pas ce qu’on lui dit. Ne veut rien entendre ni comprendre.  Son discours est en boucle, ses menaces permanentes.
Madame T, plus posée, essaie de le calmer pour entendre ce que nous avons à lui dire, mais elle est violemment remise à sa place.
A aucun moment, ils ne demandent  des nouvelles de Chloé. Les parents sont revendicateurs et agressifs.
A la fin de la litanie de griefs de Monsieur T  qui ne cesse de crier et de se lever, nous pointons sa violence et l’urgence de protéger Chloé contre celle-ci. Madame T essaie alors de temporiser en parlant « d’énervement avec les services sociaux ». Nous arrêtons alors l’entretien, après avoir promis de leur donner une attestation de présence et nous leur recommandons le plus grand calme avec l’enfant dont la visite va pouvoir avoir lieu, en présence de deux tiers. 
Monsieur T refuse mais devant notre détermination « C’est cela ou vous sortez », ils acceptent non sans nous avoir menacés pour la nième fois.
Des qu’elle voit sa fille, Madame T semble très émue. Elle pleure à chaudes larmes. Elle veut prendre Chloé dans ses bras, et la petite fille a alors le visage extrêmement inquiet. Elle crie et se blottit dans nos bras en tournant la tête. Monsieur T la prend alors d’autorité. Il fait sauter l’enfant et la secoue. Les accompagnantes ne savent pas comment se positionner devant ce père belliqueux. 
Il parle fort, crie à plusieurs reprises n’écoutant pas les explications qu’on lui donne. Chloé est très apeurée.
Nous  mettons fin à la visite avec le père. Nous voulons laisser un peu la fille et la mère seule, mais Chloé ne veut pas aller dans les bras de sa mère. Elle est alors confiée à la puéricultrice et retourne dans son unité où il faudra un temps certain pour la calmer.
Monsieur T sort en hurlant, Madame T en pleurant affirmant que sa fille ne la reconnaît plus mais dés qu’ils aperçoivent des policiers dans la pouponnière (ces derniers avaient été avertis d’une visite difficile et passaient pour savoir comment elle se déroulait), ils se calment. Il est clair que le service de l’ordre leur fait entendre raison. Un des policiers leur explique à son tour pourquoi l’enfant est placée et leur position de demandeurs d’asile.
Madame est appelée par Monsieur pour partir. Nous leur proposons d’aller à la consultation médicale de l’enfant . Ils sont avertis de même qu’ils ont la possibilité d’appeler pour prendre des nouvelles de la petite.
Aucun appel pour demander de ses nouvelles . Ils ne se rendent pas à la consultation.
Quelques jours plus tard le juge reçoit la famille en présence de sa greffière, de l’Inspectrice des services sociaux, de la Conseillère éducative  de l aide sociale, de la future référente de l Aide sociale de l’enfant et de trois policiers au dehors. Le placement est prononcé pour 6 mois. Monsieur évoque le fait qu’il ne veut plus rester dans ce pays et demande qu’on lui rende sa fille pour partir. Le juge l’informe qu’en cas de départ l’enfant sera reconduite en temps et en heure à l’aéroport.
Quelques jours après cette décision, nous avons une demande des services sociaux pour autoriser une visite des parents à la demande du juge, lui même sollicité par différents protagonistes. Nous les informons de la dangerosité de ce couple, tout le monde comprend mais la visite doit être assurée.
Lors de la seconde visite, les parents arrivent un peu en retard. Ils n’émettent pas de revendications ouvertement agressives, ce jour,  mais  Monsieur T nous fait cependant quelques remarques qui signent sa méfiance et son opposition à l’égard de la prise en charge de son enfant et des soins que le personnel lui apporte.
Madame T est plus proche des préoccupations maternelles, trouve sa fille amaigrie et répond avec précisions aux questions que pose la puéricultrice. C’est ainsi que nous avons obtenu des détails importants sur ses habitudes de vie et comportements alimentaires, ainsi que sur la qualité de la relation avec chacun des parents.
- Le sommeil : Chloé dort avec sa mère aussi bien pour les siestes que pour la nuit, refusant son lit, se réveillant même pour vérifier la présence de sa mère et réclamer un biberon vers 2 ou 3 heures.
- Les activités ludiques : D’après son père surtout, Chloé ne sait et ne veut pas jouer. Elle ne veut que les bras et pleure si on la pose. Monsieur T explique qu’il joue toujours avec elle de cette façon parce qu’elle aime.
Nous les informons du comportement complètement différent de la petite depuis son arrivée à la pouponnièreNous avons droit à un monologue du père quant à ce que nous faisons subir à l’enfant.
Le début de cette seconde visite est marqué par l’anxiété de Chloé qui ne veut pas de ses parents. Une nouvelle fois Monsieur T la prend d’autorité. Il la jette en l’air. Rit très fort. La rencontre peut paraître  « joyeuse » mais la petite fille est angoissée et ce moment devient très vite excitant en raison du comportement du père.
Nous pouvons décrire cette relation de la part du père comme accablante de stimulations constantes et inopportunes, rudes, intrusives, bruyantes et envahissantes. Les interactions avec la petite sont toujours déterminées par lui et non pas par les réponses de l’enfant. Ce père considère l’enfant pour lui-même et ne se montre pas capable de distinguer, de faire la différence entre ce qui appartient aux besoins de sa fille de ses propres besoins à lui. Il semble être venu se remplir de stimulations en les imposant à l’enfant.
Il ne permet à aucun moment à Chloé de lui montrer ses capacités motrices, sa spontanéité. Il ne lui laisse pas le temps de se poser, de telle sorte que la petite passe de bras en bras lorsque Monsieur T veut bien la laisser à la mère (ce temps fut très rare et très court durant toute la visite).
En effet, avec la mère, nous faisons comme premier constat que la petite ne va pas spontanément à elle et privilégierait la relation avec le père. Mais attentives aux signaux de rapprochements visuels et de communication orale qui s’organisent à distance entre elles, nous comprenons vite que l’attitude du père empêche l’enfant d’être paisiblement en accordage avec sa maman. 
En effet, nous observons un jeu paradoxal organisé par le père qui à la fois peut, par moments, poser sa fille dans les bras de sa mère et en même temps l’envahir de ses sons gutturaux et des rapprochement s de son visage, qui nuisent à l’interaction mère/enfant. Cette maman est visiblement, aujourd’hui débordée, à la fois par la personnalité très envahissante - voire agressive - de monsieur et de ses affects authentiquement tristes (Madame pleure beaucoup). Elle a une attitude plus adéquate avec son enfant. Elle capte son regard, utilise divers moyens comme sa voix et ses réponses affectives pour être avec elle. Madame parle à sa fille de l’hospitalisation et du placement avec beaucoup de douceur alors que Monsieur en est incapable.
Si Madame T a pu par moment demander des nouvelles de son état de santé et de sa vie à la pouponnière, très vite elle a été admonestée par Monsieur T qui se désintéresse de cette question. Cet homme dont la violence s’exprime tant dans son comportement que dans son langage nous autorise à penser que les premières victimes sont probablement la mère et la fille. 
La brutalité verbale de Monsieur T nous laisse perplexe quant à sa capacité de passer à l’acte physiquement et nous engage à protéger la jeune Chloé non seulement en la laissant sous la protection de la justice mais en n’autorisant pas les visites à l’intérieur de la pouponnière tout au moins pour Monsieur.
Par ailleurs, un travail sur le lien mère/enfant peut se faire avec la maman, à distance de son conjoint.

Nous pensons dés cette seconde visite, que le profil psychologique de Monsieur T ainsi que le mode de relation adopté avec sa fille et le personnel de la pouponnière (exclusivement féminin) nécessitent le recours à un lieu spécialisé pour concrétiser les rencontres. . Ceci afin de permettre non seulement de protéger la tranquillité du lieu d’accueil de cette petite fille, mais pour permettre aux personnels soignants (psychologue, puéricultrice, auxiliaires, éducatrices,…) d’aider l’enfant à se restaurer, à se structurer et à grandir dans la quiétude.
Cette analyse est transmise au juge par l’intermédiaire du service social, qui accepte de mettre en place des visites médiatisées dans un lieu neutre et une organisation de visites séparées pour les parents. Les parents ne se présentent à aucun des rendez-vous, décrétant qu’ils veulent voir la petite à la pouponnière. 
L’établissement reste complètement sourd aux exigences parentales et durant 4 mois il n’y a pas de visites, les parents ne prennent pas de nouvelles de Chloé et  personne ne s’inquiète de l’enfant.
Durant cette période, Chloé se construit très positivement. Il faut beaucoup de patience et une attention particulière pour que ce bébé peu à peu, commence à être bien en relation et à sourire mais de loin. Elle peut se lover dans nos bras mais surtout ne pas soutenir notre regard.  
Chloé reste toujours vigilante et apeurée.
Il faudra encore plusieurs jours pour qu’elle commence à nous regarder et à entrer en relation avec nous.
D’abord sur la table de change, elle arrive à regarder l’adulte et à lui sourire timidement mais, les changes restent douloureux et compliqués, Chloé appréhende ce moment.
Les auxiliaires lui propose un bain quelques jours après son arrivée, Chloé a l’air très étonnée de prendre le bain, et peu à peu elle se détend dans l’eau et peut y trouver un certain bien-être.
Puis, pendant les repas, elle commence à se détendre sur les genoux de l’adulte et commence à manger avec appétit et plaisir. Elle peut aussi croquer les morceaux de boudoir et de pain.
A son arrivée, elle prenait les médicaments avec difficulté, elle les prend bien désormais. Il lui arrive maintenant de se blottir dans les bras de l’auxiliaire après la prise de biberon, mais elle détourne la tête et a le regard fuyant lorsqu’on lui caresse la main ou le visage.
Avec les autres enfants, Chloé commence à faire sa place dans l’unité. Elle regarde les enfants plus grands jouer, discute avec eux et babille.
C’est une petite fille qui a une bonne approche de jeu, qui fait les jeux d’encastrement, feuillette avec attention les livres. Elle joue aussi avec les ballons et les objets de petite taille.
Chloé se déplace à quatre pattes en oscillant et en prenant appui sur son plâtre, elle avance rapidement et se meut avec aisance malgré celui-ci. Elle se met débout avec appui et lâche parfois une main.
Lorsqu’elle est mécontente, elle tape avec ses mains. Elle fait des colères en attente derrière la barrière quand elle a faim et que ce n’est pas encore son tour de prise en charge.
Chloé est une jolie petite fille triste mais pour laquelle un lieu calme et sécurisant est nécessaire pour lui permettre de trouver un apaisement et de s’ouvrir doucement aux autres, adultes comme enfant.
Tout dans son comportement (inquiétude, vigilance, soubresauts, gémissements,.. ;) nous laisse à penser que cette petite a été témoin  de la violence des parents mais que celle-ci s’est aussi exercée à son encontre.

Chloé est une victime certainement de la violence intra familiale celle-ci au point d’en être vraiment traumatisée. Elle ne semble exister pour ces parents que comme garantie pour obtenir de l’Etat Français réponse à leurs revendications : droit d’asile, droit au logement, aides financières.

Un matin , les parents n’ayant pas été autorisés à rester sur le territoire  nous avons été contraints de leur remettre  Chloé avant leur embarquement à l’aéroport.
C’est avec des cris et des larmes de l’enfant que s’est terminé ce placement. Le juge des enfants n’a pu prolonger le placement au delà du temps de présence sur le territoire des parents.
Cependant la remise de cette enfant a été exécutée sans aucune assurance quant à l’intervention des autorités du pays d’origine des parents, pour qu’une protection puisse lui être donnée.

Nous rencontrons beaucoup trop d’enfants comme Chloé malheureux, tristes ou brisés,  qui se retrouvent aux mains d’adultes « fous de rage » parce qu’ils sont décidés à « avoir » leurs enfants comme on possède un objet, sans considération pour sa sensibilité, pour ses besoins.
Notre travail  est de pouvoir démontrer que cet adulte-là, parent proche en général, réussit trop souvent à imposer sa volonté au détriment du bien-être et du bonheur de l’enfant avec, dans certains cas, la limite d’intervention du système judiciaire qui ne peut aller au-delà de ce que les textes permettent, même si la situation ainsi crée n’est pas conforme à son intérêt.
Quand père et mère s’entre-déchirent et qu’ils mettent leurs enfants au centre de leur haine réciproque en les utilisant comme moyens de représailles et de punition envers l’autre parent, ces enfants-là sont en grand danger.
Ils sont instrumentalisés. Ils représentent pour le parent revendicateur « des armes de guerre » utilisées pour faire du mal au parent maternant.
De même, quand la loi arbitre les querelles conjugales et familiales sur la base du principe de parité entre père et mère, cette loi fait l’économie des devoirs qui incombent aux parents et l’impasse sur le droit de ces enfants. 
Il faut pouvoir « démonter » ce mécanisme sans être confronté affectivement à ces situations, or les travailleurs sociaux ont besoin de ce tiers expert légal qui peut  en leur permettant d’analyser leurs affects les aider à trouver les mots justes pour demander au juge d’accepter la mise à distance de la relation parents/enfant le temps que puisse se construire d’une part et d’autre du soin
Parmi les devoirs des parents, figure l’exigence d’assurer le bien-être physique et psychologique de son enfant. Parmi les droits des enfants, s’il y en a deux à respecter, c’est celui d’être protégé et celui de grandir librement.
Mais trop souvent aujourd hui,  devoir parental assurant le bonheur de l’enfant et veillant à sa santé ainsi que droits de l’enfant à être protégé et compris sont souvent ignorés. 

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