Au regard du travail auprès de jeunes soldats revenus de conflits récents, nous avons été amenés à nous intéresser au concept de résilience qui a fait écho à nos observations. Ce concept remet en cause la fatalité ou le malheur (« je suis abandonné donc je ne vaux rien »), surtout toute idée de reproduction transgénérationnelle automatique (« je suis un enfant battu, donc je battrai plus tard mes enfants »). Ce concept permet de voir les choses de façon plus positive et donc de s’intéresser aux forces, aux ressources que va mettre en œuvre l’individu blessé afin de faire face à l’adversité, et non plus d’étudier uniquement les faiblesses, les carences ou encore les moyens de les compenser qui ne demandent qu’à reprendre le dessus.
Notre travail consiste à aider ses soldats meurtris à se construire un capital psychique qui leur permettra de façonner leur résilience et trouver les ressources intérieures et extérieures le moment venu. Notre rôle est d’aider chacun de ces jeunes, à prendre conscience de ses ressources mobilisables. Les influences extérieures affectives disposées autour d’eux sont capitales.
Notre hypothèse de départ se voit renforcer dans l’idée que si l’on veut maintenir un lien entre ces jeunes soldats revenus meurtris des combats et leur famille, malgré la souffrance que l’un impose à l’autre, il faut pouvoir permettre à chacun des protagonistes de travailler avec ce qu’il est et ce qu’il a été, et cela trouve tout son sens dans ce concept.
Bien que nous soyons conscients qu’il existe encore trop peu d’études sur cette population de jeunes combattants concernant le concept de résilience et l’approche thérapeutique qui en découle pour les intervenants, nous ne pouvons faire l’impasse de l’étudier brièvement tant il nous semble être l’élément décisif quant à l’évolution de ces jeunes hommes, dans la compréhension, de leurs capacités, de leur fonctionnement mais aussi de leur souffrance qui jusque là, a été difficile à accepter.
La résilience est un terme de la physique qui définit, en mécanique, le degré de résistance d’un matériau soumis à un impact. Ce terme, emprunté de la physique est repris en sciences humaines pour s'appliquer non plus simplement aux matériaux mais aussi à l’humain. Il permet de décrire la stupéfiante capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité que possède chaque être humain.
La notion de résilience est introduite en France et développée par Boris Cyrulnik. Selon l‘auteur, « la résilience définit la capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dûs être délabrants »
Ce que l’auteur explique assez bien est que chaque évènement n’est pas vécu de la même manière. Cela va dépendre de la représentation mentale que va se faire l’individu de l’événement: de l’importance qu'il lui accorde selon sa propre histoire. Un évènement anodin pour Mme X sera traumatisant pour M. Y car l’évènement n’aura pas la même signification et la même importance dans leur vie.
Avant les études sur le processus de résilience, les personnes traumatisées, ayant vécu dans la misère, subi toutes sortes de sévices et d’humiliations étaient bien souvent cataloguées de « foutues », (avec toutes les horreurs qu’elles ont vécu, comment peuvent elles continuer à vivre…).
Les recherches sur la résilience ont un premier effet « thérapeutique » qui est de redonner de l’espoir. Maintenant, les traumatismes peuvent être abordés avec moins de pessimisme et moins d’impuissance car on sait que permettre de retisser des liens peut parfois suffire à réactiver la vie.
Deux éléments qui relient certains de ces jeunes soldats rencontrés et cette théorie, sont :
- Le traumatisme du aux combats : Le concept de traumatisme est fondamental pour l’auteur, car pour parler de processus de résilience, il faut comme point de départ un traumatisme. Le traumatisme est définit comme un évènement qui laisse l’individu dans un état d’agonie psychique, c’est à dire que l'on n’est plus capable de penser l’évènement on peut parler aussi « d’état de choc ».
Israel, Rami, Léa, et les autres traduisent avec leur corps ce traumatisme. Ainsi l’un souffre de constipation chronique, un autre a développé une ostéomyélite, un troisième se blesse en permanence. Il se brise le col du fémur en se levant de son lit. Rami somatise, pendant une longue période il a eu la peau irritée, sans traitement cette situation a disparu en même temps qu’il est devenu moins anxieux, au fur et à mesure de sa prise en charge
- La carence affective : Concept important dans la constitution d’une résilience. Une bonne relation du bébé à sa mère dans les tous premiers temps faciliterait la capacité de devenir résilient, c’est à dire que la certitude d’avoir été aimé, nous rend naturellement aimable. Ainsi, en cas de coup dur, on garde confiance et on accepte plus facilement les mains tendues.
Selon Cyrulnik, chez tout un chacun, des "braises de résilience" sont présentes. Qu'on souffle dessus à bon escient, et l'enfant meurtri, fracassé, stoppé net dans son développement par le deuil, la maltraitance ou les atrocités de la guerre sortira de son " agonie psychique" et reprendra le chemin de la vie. Un pouvoir de "renaissance" dont plusieurs équipes dans le monde commencent à découvrir la puissance. Mais qui implique de rencontrer, sur ce chemin épineux, des "tuteurs de développement" suffisamment solides et compréhensifs.
Dans notre cabinet, nous, nous retrouvons à assumer ce rôle permettant au soldat de développer la capacité d'affronter avec succès les risques et les déboires sérieux de l'existence. Nous tentons de créer cette combinaison de force intérieure, d'appui de l'extérieur et d'apprentissage à partir de l'expérience acquise dont il va avoir besoin pour mener à bien sa relation avec son entourage : ses parents, sa femme, ses enfants.La confiance en soi est importante, comme le sont aussi l'aptitude à entretenir de bons rapports humains. Une personne qui possède une bonne dose de ces attributs peut souvent être autonome, c'est-à-dire qu'elle peut faire face à l'adversité sans détresse apparente.
Les soldats traumatisés par la guerre ne sont pas obligatoirement condamnés à devenir des alcooliques, des marginaux. Il n’est pas obligatoire qu’il y ait une fatalité dans ce devenir, et toutes les études cliniques sur de longues périodes le confirment.
Notre propos tend à vouloir faire barrage à une telle représentation tout simplement en se mettant à l’écoute et à la disposition des soldats, des parents, sans les forcer à parler.
Dans un premier temps l’essentiel est de tisser un lien auquel nous pourrons ensuite donner du sens en parlant avec ces soldats et leurs proches pour comprendre ce qu’il leur est arrivé.
La représentation de leur tragédie passée et de leurs rêves d'avenir dépend aussi "des réactions des « spectateurs », de l'opinion de la société et des stéréotypes du discours social". Meilleur sera l'accueil, plus aisée sera la résilience.
Celle-ci, pour autant, n'est pas une recette magique ni une qualité intrinsèque, encore moins un état. Certains y excellent, d'autres non. Elle peut exister à un moment donné de la vie et, soudain, sans raison apparente, ne plus fonctionner à un autre. Mais le simple fait pour les professionnels de l’intégrer à leur approche et à leur pratique, de savoir qu'elle existe – ou du moins d'y croire – rend l'avenir moins sombre. "Un gamin est foutu parce qu'on l'a pensé foutu", affirme Cyrulnik .
C'est cela aussi, la résilience : une promesse de vie pour tous ces jeunes soldats victimes de la violence humaine, de la misère ou de leur entourage proche, un appel au dépassement de soi, une pensée positive par temps d'inquiétude. Plus que l'énergie du désespoir, c’est une espérance et une occasion de relire et relier les événements qui se produisent autour de lui.
C’est avec le mot « devenir » en tête que nous provoquons des interactions qui le soutiennent
Cette psychothérapie est souvent difficile, car elle amène ces jeunes hommes à revivre, dans le transfert avec nous, thérapeute, les traumatismes dont il a souffert. C’est à travers cette relation dite « transférentielle » avec le psychothérapeute que ces traumatismes pourront prendre sens et s’élaborer progressivement au niveau psychique.
Après que chacun ait eu son temps pour parler, panser et penser ses blessures, le moment d’installer de nouveau du lien soldat/société, le temps d’une reconstruction sera alors venu. Chacun pourra aller au-delà de ses blessures et le jeune soldat pourra se construire un avenir d’homme.